Destins de Femme
…" la femme en tant qu'être
déterminé par sa fonction sexuelle. Le rôle de cette fonction
est vraiment considérable, mais, individuellement, la femme peut être
considérée en plus comme une créature humaine." (souligné
par nous)
Freud, 33ème Conférence: "La féminité".
Je me propose de considérer la métapsychologie de la réalité
psychique et les "destins" de la femme, en l'illustrant par des aspects
de la vie quotidienne et de la mythologie de Contes universels au cours d'un
de ses moments essentiels: celui du passage de fille à "jeune femme",
durant lequel elle est amenée à devenir mère par les inexorables
forces pulsionnelles, activant son "désir de bébé".
Destins et avatars de la position de la femme et de sa féminité
et vie individuelle dérivés de l'"éternelle lutte
des sexes", à laquelle l'homme et la femme sont conduits par la
pressante angoisse de la détresse psychique qui empreint nos origines
en tant que sujets, et qui accompagne la salvatrice, bien que coûteuse,
acceptation de la sexualisation. Cette lutte aspire à re-installer pour
chacun d'eux "cet autre préhistorique", garant de l'amour et
de la survie. Face à cette lutte, une éthique fondée sur
l'acceptation et la tolérance de la différence aura la valeur
de support, en tant qu'elle tempère l'horreur et préserve le plaisir
possible, ouvrant ainsi la dimension d'une singularité à vivre
dans le monde.
Le passage de fille à "jeune femme", auquel nous faisons référence,
est un transit qui culminera lorsque la "jeune-femme-mère"
se constitue - en cet "en plus" freudien de notre épigraphe-,
dans un être humain" qui, en position féminine, reprendra
-comme nous verrons plus tard - le processus de construction de sa subjectivité.
Le déconcertant et ambigu "en plus" a donné lieu à
de complexes et considérables conséquences. Parmi d'autres importants
effets historiques il a généré des mouvements divers et
hétérogènes, causés par ce malaise croissant. Une
considération profonde s'impose à nous, psychanalystes, et tout
spécialement à nous, psychanalystes femmes. Et n'oublions pas
que, aussi bien Freud que Lacan ont lancé le "défi",
dirigé spécifiquement aux analystes femmes, leur réclamant
de parler sur les questionnements masculins regardant le thème de la
féminité.
D'autre part, nous reconnaissons depuis longtemps la vigueur indiscutable et
significative du thème de la "sexualité féminine"
en ses différentes approches dans la pensée psychanalytique, ce
qui exige un engagement qualitatif et actualisé de notre écoute.
Il faut en convenir: ça fait déjà longtemps qu'"il
est temps" d'accepter et d'approfondir ce défi.
Pour cela nous allons nous centrer sur ces deux temps caractérisés
par Freud dans notre épigraphe et qui apparaissent comme: un premier
temps, "guidé par la fonction sexuelle" qui conduirait à
"devenir mère", et un autre temps ultérieur qui nous
défie par sa formulation et nous amène à conceptualiser
autour de cette position que Freud définit comme "la femme individuelle"
qu'il semble autoriser avec ses propres mots: "…elle peut être
considérée, en plus, comme une créature humaine!"
Devenir mère
Lorsque nous considérons les origines
de la constitution du sujet, il devient pour nous évident que le chemin
conduisant au déploiement de la "fonction sexuelle", en termes
de Freud, aussi bien pour la fécondité que pour l'érotisme
adulte, se soutient significativement de l' éfficacité spécifique
d'une "rencontre particulière". Rencontre qui, en rigueur,
est une "nouvelle rencontre" avec les traces des coordonnées
du plaisir de cet amour archaïque , l'"amour inoubliable" auquel
se réfère Freud.
Certaines métaphores universelles mettent en scène cette "rencontre
particulière" et s'expriment - prenant comme matériel les
Contes de Fées-, par exemple, dans le réveil à la vie de
la Belle au Bois Dormant - Blanche-Neige, "action spécifique"
accomplie par le splendide Prince Valeureux, par ce "premier baiser d'amour".
Le Prince incarne - au niveau œdipien - "cet autre préhistorique",
celui de "l'amour inoubliable - cité par Freud très tôt
dans sa fameuse "Lettre 52" de 1895 - et il constitue le porteur renouvelé
de cette action efficace initiale qui instille la vie psychique. (Freud, "Projet
d'une psychologie pour des Neurologues").
C'est ainsi que le "premier baiser d'amour" obtient sa potentialité
de reprendre les traces de l'érotisme primitif, fortement tissées
quotidiennement et déjà activées dans l' ourdissage des
"Rêves d'amour et de Rencontres…" (pré-destinés?),
fondements admirablement documentés dans le beau livre de Ethel S. Person
("Dreams of love an fateful encounters. The power of romantic passion",
Penguin Books, 1989).
Cet ourdissage de "scènes de rencontres", à la rigueur
nouvelles rencontres prédestinées, fait partie de la réalité
psychique féminine et se situe dans la dimension de celle dont s'occupe
G. Bachelard, dimension entendue en tant que topique des rêves diurnes
dans "La poétique de la rêverie" (P.U.F., 1970); c'est
là que se place Ethel Person.
Une deuxième latence pubérale -adolescente
La fille, en raison de sa "fondamentale
proximité excessive " identificatoire avec la mère, (Raquel
Zak Goldstein, "Le continent noir et ses énigmes", Madrid,
IPAC, 1983) cherche le rachat et la solution dans le regard nécessaire
du père pour protéger et favoriser son passage au temps psychique
de la puberté.
Ce regard paternel "à distance", assure les inévitables
coupures, dans l'imaginaire, qui conjurent les démons persécuteurs,
neutralisant ainsi "le pouvoir" incarné dans la mère
phallique, toujours présente dans la réalité psychique.
Dans ce champ ainsi délimité se tracent les identifications auxquelles
se réfère Freud dans sa 33ème Conférence "La
féminité", qui permettent à la fille en voie de se
constituer comme femme de s'installer investie comme leurre, entendu comme "l'héritier"
du fétiche infantile du garçon dans "le jeu des sexes"
(Raquel Zak Golstein, "La mujer, de fetiche a señuelo en el juego
de los sexos", Lima, 1994).
Le jeu des sexes constitue l'axe de l'efficacité érotique et une
des clés de la fécondité.
Pourtant, une position paternelle adéquate face à la fille- jeune
femme ne saurait suffire à neutraliser pleinement les aspects persécuteurs
dérivés de la fantasmatique œdipienne ("La mère-marâtre-sorcière")
qui habitent la "proximité excessive" avec la mère.
En outre, "Le sacré et le profane", qualités intimement
liées à la dimension sacrée - et par conséquent,
profanable - du "corps continent de la mère", sont à
leur tour la toile de fond de la fantasmatique œdipienne qui se déploie
comme support subjectif de la vie érotique, aussi bien avant la défloration
que dans l'essence de la trame des fantasmes sexuels de l'adulte.
Ces fantasmes, soutenus dans la bisexualité constitutive et dans le polymorphisme
sexuel infantile, s'adressent au corps de la mère, re-trouvé par
les deux dans le corps de la mère.
Un état de "seconde latence" s'installe alors face à
la complexité des fantasmes persécuteurs dérivés
des anxiétés œdipiennes référées à
la profanation du corps maternel, fantasmatique qui passe à un premier
plan lorsque la fille, en voie de jeune-femme, habite "un corps charnel".
Une de ses expressions métaphoriques les plus réussies, et cliniquement
quotidiennes, la "piqûre" soufferte par la Belle au Bois Dormant
est, en même temps, l'expression de l'inquiétante pulsion endogène
hormonale et de la désirée - crainte intrusion phallique, corrélative
de ces fantasmes de profanation.
Dans la personnification de la "Méchante Fée " - la
marâtre représentante projetée de l'aspect méchant,
dissocié et rejeté de l'organisation d'un "monde heureux"
autour de la "famille royale idéalisée" - elle s'effectivise
au moyen de la prophétie de la "Méchante Fée ",
le châtiment du Surmoi. Fâchée de cette exclusion, la Méchante
resta "menaçante" jusqu'à ce que les jeunes, au moment
d'entrer dans le monde de la réalité post-œdipienne, puissent
et réussissent à lui faire face, en intégrant ces aspects
"clivés".
"La royauté" est un aspect pris de la réalité
psychique qui créée au cours de cette organisation défensive
schizo-paranoïde, mise au service de la préservation des idéaux
et centrée sur le mythe générique des pères rois-fils
princes-avenir heureux.
Son effet corrélatif est constitué par cet état particulier
typique de la vie adolescente, de léthargie-latence illustré dans
ces deux Contes de Fées.
Cette situation installe une inévitable et multidéterminée
"seconde latence, pubérale-adolescente".
Il s'agit bien d'un temps "en friche", selon une heureuse expression
de M. Khan, que nous pouvons référer au processus de trans-formation
somato-psychique traversé aussi par l'adolescent masculin.
La persistance - comme trait pathologique - de cette "seconde latence pubérale
adolescente" permettrait en plus de penser à une autre interprétation
de l'anesthésie féminine.
La "tempête psychique" et les terreurs de viol - engagés
dans la projection de ces fantasmes dérivés des fantasmes sexuels
infantiles d'assaut au sein/corps maternel - peuvent arriver à s'exprimer
symptomatiquement comme des phénomènes hypocondriaques, troubles
menstruels, boulimie, anorexie, frigidité et troubles de la fertilité.
La "léthargie-latence", véritable période "en
friche" somato-psychique, est un temps dans lequel la fille-pubère,
en voie d'adolescente, transite pour se préparer et être capable
de soutenir les nouveaux et successifs passages que le processus psychique de
la résignation de toute sa sexualité infantile et l'enlèvement
de ces clivages lui exigent.
Il s'agit aussi -selon Freud - du passage de la volupté à la sensorialité
en voie de la constitution de l'érogénéité et la
sensualité.
Passage clé du développement érotique féminin en
voie de constituer son "corps charnel", comme résonnateur du
désir.
La singulière signification de son corps pour la femme, met en évidence
ce corps comme "scène charnelle-imaginaire" de la vie sexuelle,
pour les deux sexes.
Nous pouvons définir ce corps comme "corps charnel", par allusion
à la qualité particulière assumée par son corps,
dans la réalité psychique de la femme.
Le corps charnel, en tant que concept, renvoie à la notion de corps somatique
au moment où il devient corps érogène habité progressivement
par le désir sexuel qui "enfile" les zones érogènes.
Ce moment concerne, aussi, une phase normale d'"hystérisation"
de la fille pubère-adolescente, comme on peut le déduire de la
conceptualisation de l'Hystérie Archaïque, élaborée
par J. Mc Dougall ("Théâtres du corps", 1989).
Lorsque ce passage essentiel -que nous pourrions définir comme le processus
d'"habiter le corps charnel" - réussit, la constitution d'une
position féminine s'actualise.
Le concept de "corps charnel" est à cheval - d'après
la métapsychologie lacanienne - entre une qualité imaginaire et
la condition du réel, ce dernier entendu comme "cette partie du
corps non représentable".
Le grand défi féminin devient alors évident… Comment
habiter le corps charnel?
Habitant le corps charnel
La réalité psychique féminine,
parce qu'elle habite la chair, est plus proche du temporel et du vécu
de la finitude. En revanche, l'homme, devant faire face prématurément
au déchirement , qui entraîne la perte charnelle à cause
de la "séparation radicale de la mère", déchirement
qui sera redoublé par la menace de castration, s'"aliène"
de la chair, assumant ainsi sa conséquente position masculine. Il habite,
à partir de ce moment, la spiritualité et l'univers symbolique
(Freud, "Moïse et le monothéisme", 1939 [1934-1938].
La femme qui pro-crée instille avec son "actionnement efficace"
initial l'immortel (Freud, "Totem et tabou", 1912 -13) et soutient
dans sa chair la finitude; tandis que l'homme, installé dans la spiritualité,
"assure" la permanence de l'espace symbolique.
Est-ce que c'est à ce champ de la vie amoureuse qu'est convoquée
la femme (Freud, "Manuscrit G", 1895?), "inestimable" bénéfice
social auquel réfère Freud, dans sa 33ème Conférence
"La féminité"?
La fille, pour entrer dans le stade de "jeune-femme", doit, en plus,
s'installer et s'approprier du temps/espace des jeux préparatoires prépubéraux.
Elle a joué aux poupées, elle a fondé une famille, "tant
que la sorcière n'est pas là", en comprenant le jeu au sens
de D.W. Winnicott.
En accédant à la puberté, les effets psychiques de cette
fantasmatique complexe conduisent la fille -déjà orpheline - à
entrer dans un monde avec une certaine solitude grisâtre. "Terre
de personne", dimension de l'adolescence.
Cendrillon, orpheline et dégradée et immergée dans son
duel solitaire mélancolique; Blanche-neige, cachée dans les bois,
(champ transitionnel de la détresse infantile) et la Belle au Bois Dormant
qui, -protégée par les pouvoirs des fées marraines qui
substituent les pouvoirs protecteurs perdus des parents - feront face -, dans
cet espace-temps dont nous sommes en train de décrire la qualité
psychique, à la menace du retour de la méchanceté dissociée
.
C'est la "Terre de personne" dans laquelle la jeune fille, même
comptant avec des parents suffisamment bons, inaugure le processus psychique
du vécu particulier de séparation qui caractérise la condition
sexuée humaine et le retour toujours menaçant, de l'"état
de détresse", expérience qui va la contraindre progressivement
dans les voies d'un psychisme de plus grande complexité.
"Magie et Poudre d'Etoiles" métaphorisent les recours psychiques
qui préservent ce processus complexe somatopsychique et qui accompagnent,
au milieu de dangereuses dérivations pathologiques, comme, par exemple,
des fétichisations et addictions, la sortie de la brume mélancolique
qui entoure les duels infantiles.
Survient alors "la splendeur de la transformation"; si magnifiquement
illustrée dans Cendrillon et son monde. Métaphore du dépassement
de la misère et de la détresse psychique infantile-pubérale,
par effet de la plénitude somato-psychique qui s'impose.
L'attirance sexuelle de la fécondité et le "Sex appeal Fertility song", métaphore de l'attirance sexuelle de la fertilité
Cet "appel de l'amour" est un état
qui accompagne ce que nous pouvons appeler la "splendeur de la transformation
somatopsychique". Il porte - dans sa qualité de séduction
érotique et de plénitude de la fertilité - aussi bien Blanche-Neige
que Cendrillon à disposer du pouvoir pour attiser la passion chez le
garçon, à travers l'effet spécifique de la beauté,
qui provient de l'"identification- mère" déjà
consolidée.
Alors, l'attirance sexuelle ainsi consolidée dans son action efficace
au moyen du "baiser et de la danse de l'amour", réactive l'axe
bouche-œil-génital, trajet central de l'érotisme , qui correspond
à ce que Freud indique dans le chapitre "Toucher et regarder"
de ses "Trois Essais"…" (1905).
Autour de la signification de l'œil et du regard dans la psychanalyse,
nous pouvons préciser dans ces temps constitutifs de la vie de la femme,
l'action de deux types de regard:
1. Le regard paternel qui - à la recherche de l'idéal féminin-
a sexualisé la fille, devra être substitué par le regard
du "prince" étranger voisin qui voit la jeune fille -encore
vierge - comme un objet érotique exogamique. En revanche, le père
doit chuter comme objet impossible, si ce père particulier est capable
de le tolérer…
2. Le regard maternel, qui l'autorise dans l'impossible "excessive proximité
du continuum identificatoire constitutif féminin", fait que la fille-enfant/jeune
se re-connaisse pendant ses "essais d'être femme". Exemple quotidien:
le jeu constant de se déguiser avec les vêtements de la maman ou
encore les successives et exténuantes excursions pour faire… des
achats! Ou devoir choisir les vêtements… mais, avec maman! Evidences
suggestives de la complexité psychique inconsciente qui accompagne les
préparatifs pour sa "fonction sexuelle" et pour la fécondation.
Le "premier baiser d'amour"
Ce premier baiser légendaire et efficace
"accroche" durant la "rencontre rêvée" à
laquelle nous faisions référence tout à l'heure, les expériences
qui ré-activent et scellent les voies de l'enfilement inaugurateur des
zones érogènes féminines bouche-vagin. C'est ainsi que
cette trace enchaîne et déchaîne une réaction érotique
qui dynamise l'excitation sexuelle dans la vie amoureuse adulte de la jeune
fille.
Cet accrochement convoque le pouvoir de "cette jouissance primitive charnelle",
dans les traces de l'"expérience de satisfaction" fondée
avec le psychisme.
Dans ces temps-là (dans le sens de temps logiques, pas chronologiques),
et en plein "état de détresse" de l'infans,, la mère
a libidinisé le bébé par ses soins corporels, en contribuant
à cet indispensable enfilement des zones érogènes qui deviendront
la trace détonante de ce qui est repris maintenant, dans la vie érotique.
L'effet du "premier baiser d'amour" inaugure et, à la limite,
actualise, le premier trajet de la jouissance, destinée "inquiétante"
de la pulsion et initie ce que nous pouvons aussi considérer, l'étape
culminante de l'équation symbolique freudienne, essentielle pour les
Destins de femme.
Destins liés, en partie, à l'expectative sociale selon Freud qui
conduisent à l'articulation du "désir de phallus", comme
dernière pièce ultime de l'équation symbolique en tant
que "désir de complétude" , avec le "désir
de bébé".
Désir de bébé - Désir de fils
Nous pouvons, donc, dire qu' aux temps de la
jeune-femme-adolescente, la "rencontre rêvée" est efficace
parce qu'elle précipite ces phénomènes somato-psychiques
pré-disposés et déjà "en friche".
Son efficacité, nous l'avons dit, se nourrit des effets de la trace de
cette première instillation-fertilisation maternelle, qui produit le
"dérangement" pulsionnel causé par "l'expérience
de satisfaction", phénomène à la base du psychisme.
Il s'agit d'un moment archaïque, mythique et humanisant , que nous considérons
comme shifter du passage de l'Instinkt au Trieb freudien. C'est la base, en
même temps, de la constitution du corps érogène à
partir du corps somatique. Il garantit aussi les processus initiaux d'intégration
somato-psychique sexuée.
Le "nouveau réveil à la vie", promu par la rencontre,
renvoie alors au "binôme" bébé-mère, dont
la trace complexe provoque en plus chez la jeune femme le désir d'une
"décisive réversion".
La jeune femme cherchera par ce chemin le bébé qu'elle même
a été pour sa propre mère, cette fois-ci de façon
"inversée". Si elle admet la présence d'un homme situé
en position désirante, elle aura garanti au processus sa direction prospective.
C'est la dynamique activée par le désir de bébé.
Les facteurs psychiques privilégiés qui interviennent sont ces
effets puissants de l'"équation symbolique" freudienne (sein-déjections-pénis-bébé),
- qui sous-tendent l'éternel désir de complétude narcissique
-, avec l'entrée dans la scène des relativement "oubliés"
jeux transitionnels de l'enfance et l'inexorable pulser -renouvelé et
actualisé- de la poussée pulsionnelle somato-psychique.
C'est la pulsation pulsionnelle qui "émulsionne" -dans une
dispersion instable et, par définition: hétérogène-
ce "soma en cours d'humanisation" et l'ordre représentationnel
Par la suite, le désir du bébé devra donner lieu au désir
de fils, dans un virage décisif pour les deux intégrants du binôme
initial. (P. Aulagnier, "La violence de l'interprétation",
Du pictogramme à l'énoncé, P.U.F., 1975; D.S. Litvinoff
"El deseo de hijo", APA 1994). Virage qui relève fondamentalement
de l'efficacité psychique concrète de cet homme désirant
qui convoquera activement la "jeune femme-mère", - dans un
premier temps de l'œdipe transité par cet infans -en la retournant
dans cet acte à la position incomplète de "femme desirée-désirante".
La coupure paternelle -rendue ainsi effective- donne lieu à une organisation
triadique œdipienne et affermit la séparation de la dyade, l'interdiction
de l'inceste et l'exogamie.
En ce qui concerne la jeune-femme, elle soutient un double travail psychique
depuis son enfance: châtrer l'imago de la mère phallique pré-œdipienne,
en réussissant à reconnaître la mère en tant que
"Pas Toute" et, corrélativement, soutenir en elle même,
les effets de cette opération de séparation qui fonde l'expérience
subjective de sa propre incomplétude.
Cette expérience centrale dans la vie psychique de la femme, se consolide
dans les expériences d'engagement constantes et renouvelées, coupure
et détachement charnel, propres de la nature féminine et, de manière
contondante, par l'effet irréversible de mettre au jour et ensuite laisser
vivre aux fils "une vie psychique autonome".
Au cours de ce passage, la femme a pu tolérer le craquèlement
graduel de la fiction de continuité dérivée du désir
de complétude, que de façon nécessaire et transitoire soutenait
"entre les deux", le binôme bébé-mère,
dans un jeu narcissique de miroirs réciproques manifesté dans
l'expression freudienne :"His majesty the baby".
La ré-édition reversée souhaitée de ce duo narcississant
trophique, climat de base de l'état de bébé qu'elle a elle-même
parcouru au cours de la fondamentale "spécularité inversée"
inhérente au processus identificatoire du coule fille-mère du
temps "pré-œdipien" selon Freud, est aussi un axe du processus
de la transmission dans l'élevage humain (Freud, "Totem et tabou',
1912-13) qui mène la fille-jeune à se-chercher, mais d'une façon
invertie, d'abord dans les jeux infantiles qui anticipent et favorisent la fécondité.
Un reste significatif de ce jeu narcissique de miroirs réciproques que
nous avons défini comme "spécularité inversée"
persiste longtemps dans la vie de la jeune femme, manifestant la puissante dépendance
spéculaire féminine à l'égard du regard, qui confirme
son identité.
La jeune femme, pour vivre "le détachement charnel" ayant lieu
pendant l'accouchement et la nécessaire et croissante séparation
de "son bébé", par la rupture de la dyade initiale,
se soutient de cet "appui" spécifique qu' est la présence
et action bienfaisante de l'homme-père, tout ce qui contribue à
consolider en elle des effets psychiques de Castration Symbolique.
Cette efficacité de la fonction paternelle (Raquel Zak Goldstein, N.
York, 1994), action que la jeune-femme-mère doit en plus accepter et
"laisser passer", est essentielle pour elle et aussi pour le bébé.
C'est ainsi que le bébé est "forcé" et "livré"
à sa capacité de désirer: il est fils.
Ce contexte les place, tous deux, dans un transit décisif durant lequel
le bébé émerge à sa condition de fils, entendu comme
le "nourrisson humain" capable d'"engendrer" le désir
face à cette expérience de coupure et de séparation qui
accompagne la rupture de la complétude narcissique illusoire fondatrice.
Désir qui se tisse comme un fantasme inconscient propre et singulier
et qui sera son organisateur psychique.
En même temps, la jeune-femme-mère menée par la prédominance
de l'amour objectal., reconnaît et tolère alors sa propre altérité
et incomplétude.
Forcée de châtrer et de se châtrer symboliquement pour vivre,
elle réussit à se "sauver" "en sauvant" son
enfant. Elle s'écarte à une distance adéquate des périls
de la sinistre fusion dyadique.
Et quelque chose d'autre arrive à ce moment-là…
C'est l'initiation des processus spécifiques qui prédisposent
aux conditions pour une deuxième étape: "être considérée
en plus une créature humaine".
Ce désir de bébé, suite du désir du phallus (ancienne
réclamation de la fille à la mère et au père autour
de la traumatique reconnaissance de "la différence sexuelle anatomique"),
se voit rempli dans le fait de Devenir mère et dans l'élevage.
Désir qui succombe en tant que désir de complétude, face
à la série successive d'expériences inquiétantes
et décisives des détachements qui, à mon avis, selon Freud
constitueraient l'axe des opérations psychiques d'un temps décisif
de l'Œdipe féminin. Temps qui, seulement alors, installe chez la
femme la permanence pleine de la Castration Symbolique.
En incluant et con-sentant, la femme, l'exercice de la fonction paternelle,
elle donne lieu à ces surprenantes conséquences dans sa vie psychique!…
elle lui permettent…
"… En plus Un e Créature Humaine."
Freud (1933).
La cohérence dans la multiplicité
Le désir de bébé -qui,
dans la séquence de l'équation symbolique est absolument mêlé
au référent phallique-, reconnaît dans son essence, le désir
d'appropriation de ce bien: le phallus, assigné au pénis.
Cette dynamique installe aussi chez la femme la fonction de leurre. Fonction
spécifiquement féminine qui l'investit "comme si" elle
était le phallus.
La complexité qui met en relief la diversité mise en œuvre
dans les destins de femme et le risque de ses avatars nous est évidente.
Ces avatars lui imposent un "interminable" travail de cohérence.
Il s'agit de se-soutenir dans cette multiplicité qui compose sa position
féminine.
Il est nécessaire de discriminer conceptuellement la différence
entre le désir de bébé -lié à l'équation
symbolique et le renversement de la propre expérience de la fille comme
bébé-, désir qui homologue transitoirement le bébé
à-venir, avec le bébé que la future mère a été
pour sa propre mère ("…le champ transitionnel de l'élevage…",
R.Z. Goldstein, Gramado, 1994) et le désir d'enfant, qui ne s'actualise
comme tel qu' en mettant le bébé en dehors de la dyade.
En tant que fils, cet être seulement alors devient un "autre à
découvrir", situation d'énormes conséquences structurantes
pour les deux.
C'est précisément dans ce point que la spécularité
essentielle de la symbiose primitive se dis-continue.
Peut-être la psychose puerpérale est-elle l'expression la plus
achevée, dans la pathologie, de l'angoisse de castration chez la femme.
Manifestation "équivalente" de l'angoisse de castration que
Freud a décrite chez le garçon. Cette situation est celle qui
préside le début du "deuxième temps" "différé"
par l'exercice au cours du premier temps, de sa fonction dans la transmission.
La coupure -qui inaugure la dimension de l'absence et ses effets déterminants
dans la structuration psychique- permet que la mère abandonne, graduellement
- bien qu'avec l'angoisse de ses implications de "détresse"
comme castration- son bébé, qui commence à "s'entre-tenir"
secouru par les objets et les phénomènes transitionnels. Alors
qu'elle tolère et s'entraîne dans ce "bref état de
folie normale" caractéristique (A.Green, "Passions et destins
des passions", dans "Des folies privées").
Il s'agit peut-être de la plus grande expérience de détachement:
le renoncement à "sa possession bébé". Passage
décisif de bébé-possession à fils-autre.
Ce n'est qu'alors que la femme doit faire face, de manière large et définitive,
à l'angoisse de castration qui entoure la carence comme axe universel
constitutif.
La femme en transit de bébé orphelin pubère à adolescente-femme-mère,
désirant "l'objet précieux" qui "lui manque",
commencera ou reprendra, après ce détachement", la tâche
de soutenir sa condition d'"être humain".
Maintenant oui, en tant que sujet qu'elle a été, elle se trouve
traversée par les circonstances de ce que nous appelons la castration
symbolique.
Châtrés et incomplets, dans la vie érotique s'établit
le mode féminin qui dira "je le suis" (le phallus), tandis
que le mode masculin dit "je l'ai".
Tout en procréant et en élevant ses enfants… et tolérant
aussi, elle laisse son petit vivre l'angoisse comme matrice du désir,
centre en même temps d'une vie psychique séparée, elle est
devenue: "un être humain femme".
Et dans l'éternelle dialectique de la répétition-transmission,
la jeune-femme-mère soutiendra après, avec sa propre fille, ce
Jeu spéculaire que nous connaissons et qui caractérise la lente
et complexe constitution de l'identité féminine.
La fille, pendant ce temps, est restée dans l'"inévitable
proximité maternelle", habitat de ce continuum identificatoire féminin,
de qualité "impossible", infernale et passionnelle. Et c'est
ce jeu fondateur qui a forgé l'"impossible" cohérence
dans la multiplicité, caractéristique de la diversité féminine.
Pendant ce temps, elle s'est mise à habiter son corps charnel.
Elle est devenue de plus en plus subjective, malgré et même contre
ces conditions constitutives qui l'ont située, au cours de ce long "premier
temps" que nous avons décrit, plutôt comme objet que comme
sujet.
L'"impossible" cohérence dans la multiplicité se soutient
de cette espèce de "forge-chaudron-alchimie charnelle", condition
caractéristique de la diversité de la position féminine,
qui présente de surprenantes ressemblances avec la description de W.D.
Winnicott sur l'identification nucléaire, en rapport avec "l'élément
féminin pur", (D.W. Winnicott, "La créativité
et ses origines", "Réalité et jeu", 1971)
Condition qui, sous la plume de Milan Kundera, constitue "l'insoutenable
légèreté de l'être". Condition que la femme
saisit, en con-tenant, en supportant et en se- soutenant dans cette qualité
instable.
Si ce fut "l'autre" qui a instillé la vie psychique et en tant
que "l'autre primitif", c'est cette partie là de l'unité
fondatrice que Freud appela le Complexe du Semblable ("Projet pour une
Psychologie"…, Freud, 1895), nous pouvons penser que le Moi originaire
et "l'autre" - comme le Semblable- pourraient se définir comme
les "parties de cette unité" des temps et du contexte fondateur
d'où surgit le Moi réel définitif dans une condition lacérée,
en état d'… "insupportable légèreté".
La femme est celle qui transmet, par le fait de rester immergée dans
cette insupportable légèreté qui accompagne l'empathie
(die Einfühlung) primitive du continuum identificatoire féminin
qui la caractérise, dérivée du déchirement de cette
"unité fondatrice". Qualité qui contribue, définitivement,
à son identité dans la position féminine.
Nous pouvons penser que, c'est dans ces temps de l'élevage, que culmine
définitivement le complexe d'Œdipe de la femme en analogie, seulement
alors, avec celui du garçon.
Les défauts dans cette dynamique complexe produisent des déviations
générant d'autres destinées de femme: maîtresse de
maison ou femme objet, femme phallique ou toute mère…
Homme et femme en chute permanente d'eux mêmes, de l'autel narcissique
de "His majesty the baby" et traversés par la castration symbolique,
cherchent dès lors "l'autre", pour bâtir des ponts et
rééditer dans l'actuel, dans cette ren-contre "cet amour",
le préhistorique inoubliable des débuts de la réalité
psychique.
Et dorénavant, ils seront engagés à toujours dans le travail
de la préservation du Semblable, mais en comprenant le Semblable comme
un prochain, comme "celui qui n'est pas identique", "l'étranger",
"quelqu'un de l'autre sexe", et destiné à l'amour.
Lacérée, de même que le garçon, pendant les temps
d'éveil du Moi réel définitif, sa différence consiste,
justement, en ce qu'elle n'abandonnera plus la résonance charnelle et
empathique.
Elle s'affermit dans cette position d'oscillation insupportable, par la voie
de la rêverie, en attendant "l'autre" qui sera pour elle l'appât
humain de l'ombre, du Semblable.
C'est ainsi que se "dessine un lieu" pour un infans-petit et, aussi,
pour un homme.
Nous proposons la considération d'une éthique du désir
et de la différence des sexes, en tant que fondements pour soutenir la
réalité psychique.
Ethique clé pour la préservation de cette différence tensionnelle
initiale (Freud, "Projet de psychologie pour des neurologues", 1985)
qui, par hasard vital, a promu - dans l'éternelle rencontre de l'amour-
la constitution du sujet psychique.
Posée de cette manière, l'éthique promeut la tolérance
de la différence des sexes et assure la stabilité de la vie psychique.
Confrontée à la Castration Symbolique et déjà affermie,
après ce que nous avons considéré un premier temps, elle
même comme "…femme individuelle…" cherche ardûment
à habiter par son propre droit non seulement son corps charnel, mais
aussi sa subjectivité et le monde. Pour "être -selon Freud-
en plus un être humain"…
Traduit de l'espagnol par Florence Baranger
flo@arnet.com.ar